Le Boulevard des Ursulines à Die

par Sylvaine Laborde-Castex

Ce boulevard de Die situé entre les boulevards du Ballon et Adolphe Ferrier, suit en partie le pied du rempart Ouest de la ville. En 1863, la ville a cédé comme de nombreuses bourgades françaises à ce vent de modernité qui consiste à poser des plaques indicatrices dans les rues, places ou impasses. Parmi les 158 plaques dioises fixées, une artère nouvelle située entre la porte Saint-Vincent et la tour Drojat prend le nom de boulevard des Ursulines. La ville de Die nomme cette voie en souvenir des Ursulines, des religieuses moniales dont le couvent était situé dans ce quartier jusqu’à la Révolution (1). 

Le domaine des Ursulines , la montée des Prisons n’est pas encore crée,  les plantations de platanes et marronniers sont figurées sur le plan cadastral de Die d’août 1823 (Archives départementales de la Drôme)

Les Ursulines

Vouées à des oeuvres charitables, à l’éducation et l’enseignement, les ursulines reconnaissaient comme inspiratrice Sainte-Angèle de Merici qui fonda en Italie du Nord une compagnie de religieuses sous le patronage de Sainte-Ursule (2). Selon ses biographes, Angèle Merici (1474-1540) reçut la révélation de sa mission dans un champs : « fonder une compagnie de vierges appelée à se développer largement dans l’avenir. » « En 1516, elle s’établit à Brescia, une ville dévastée par les armées françaises durant les quatre années précédentes et qui deviendra un peu plus tard la plus luthérienne des villes d’Italie selon les dires du pape Clément VII. « Angèle Merici est une de ces auxiliaires œuvrant pour le rétablissement de la foi [catholique]» nous apprend Ginette Guillorit dans son livre consacré aux Ursulines de Crest. Elle poursuit « A l’époque de la création de la Compagnie d’Angèle, l’église ravagée par la Réforme, cherche à se reconstruire. Saine-Ursule est regardée par les jeunes filles restées dans les rouages de la religion catholique, peut-être même par celles qui cherchent leur voie, comme un phare spirituel. La compagnie de Sainte-Ursule se répand en Italie dès la fin du XVIe siècle, mais aussi dans des territoires qui sont aujourd’hui ceux de France, Belgique et en Europe Centrale.»

Le Boulevard des Ursulines aux environs de 1900

On peut alors aisément comprendre pourquoi en mai 1638, l’évêque de Valence et de Die, Charles-Jacques de Gélas de Léberon donnent des lettres d’obédience aux sœurs ursulines France de Villeneuve, Marthe Jobert, Paule de Cellarier, Marguerite Rambaud, Marie Angel, Marguerite de Chabrilan et Isabeau Pissis, « a effet de se rendre à Die pour y fonder un monastère ». Ces Ursulines venues de Montélimar étaient donc toutes trouvées pour rétablir la « bonne parole » dans une ville majoritairement protestantes.   La mère Isabeau Pissis dirigea pendant trois ans le monastère de Die avant de repartir pour Montélimar. Le chanoine Jules Chevalier rapporte que « l’arrivée des sœurs avait été à Die un événement, et les dames de la ville catholiques et protestantes, leur rendaient de fréquentes visites, si bien que le consistoire en fut scandalisé et par délibération interdit aux protestants « d’aller visiter les nonnains de nouveau establies. » Les Ursulines ouvrirent une école à l’hôpital puis une autre dans leur couvent en 1739, pour les filles protestantes arrachées à leurs familles. Après avoir occupé différents immeubles une maison appartenant à Catherine Reynier, puis deux autres maisons propriétés de la famille Delamorte, et au chanoine Gabriel Vigue située au Marché, en 1647, la communauté, placée sous la responsabilité de Paule Cellarier, achète à Jean Giraud, pasteur à Beaurières la maison de Chabestan (3) et le « clos d’Aix.  Ce clos est un jardin situé tout près, mais hors des remparts (aujourd’hui il s’agit des parcelles où sont installés les écoles publiques, l’ancien stade de Chabestan et la salle polyvalente). Elles achetèrent en 1648 trois autres maisons voisines, et en 1658 un jardin (aujourd’hui la placette) appartenant à David Roman, avocat pour agrandir leur couvent. Elles s’appuient alors sur le rempart et obtiennent du duc de Lesdiguières (gouverneur du Dauphiné), « l’autorisation d’usurper le chemin de ronde ». (4) Ad. Rochas qui a consacré un petit fascicule à l’histoire des Ursulines de Die rapporte que les « bâtiments étaient divisés en deux parties bien distinctes, ayant chacune leur affectation spéciale. La première, formée par la maison de Chabestan, était le couvent proprement dit. Elle contenait trois dortoirs subdivisés en vingt-cinq cellules. [Celles-ci] contenaient un lit, un prie-Dieu, une table, deux chaises, une armoire et quelquefois un tableau de dévotion. L’autre partie des bâtiments avait été disposée pour un pensionnat. Elle était séparée du couvent par un petit jardin ». Le Couvent possédait également une chapelle richement décorée (5). Jules Chevalier dans son Essai historique de l’église et la ville de Die précise que « chaque religieuse devait en entrant apporter une dot d’au moins 1800 livres et 200 livres pour l’ameublement de sa cellule. Ces différentes ressources firent du couvent de Die, un dès plus riches de la province » poursuit Chevalier. 

Etat actuel du couvent des Ursulines, le bâtiment proche de la route a été totalement reconstruit au 19e siècle

Les Ursulines accueillaient également des pensionnaires et des demi-pensionnaires (en 1680, le prix de la pension était de 100 livres). Le couvent des Ursulines de Die fut pendant plusieurs décennies le seul établissement spécialisé dans l’instruction des jeunes filles de la bourgeoisie.  Les Ursulines avaient également d’autres domaines agricoles à Aurel et à Menglon (domaine de Blanchon). Le couvent était administré par trois dignitaires explique A. Rochas : la supérieure (chargée de la direction spirituelle, élue tous les trois ans au scrutin secret et à la pluralité des voix), l’assistante ou sœur « écoute » et la zélatrice. L’assistante suppléait la supérieur tandis que la zélatrice avait pour principale mission de rappeler en permanence aux sœurs la règle de Saint-Augustin à laquelle étaient assujetties les Ursulines depuis 1542.(6) Parmi les supérieures du Couvent on peut citer les sœurs : Isabelle de Plissis, Paule Cellarier, Suzanne de Saint-Benoit Morel, Florence de Sainte-Thérèse Peyrol, Madeleine de Saint-André Giraud, Geneviève de Saint-Jean de Beaumont. Le couvent des Ursulines semble avoir subsisté à Die, plus longtemps que les autres congrégations religieuses de Die comme les Cordeliers ou les Dominicains. Les soeurs ont même prêté de l’argent à la communauté au début de la Révolution. En avril 1792, alors que l’assemblée nationale abolit toutes les confréries religieuses et ordres religieux (7), il faudra atteindre le mois de juin pour voir des révolutionnaires diois s’attaquer au couvent des Ursulines. « Le 17 juin, vers 6h du soir, il se forma un rassemblement tumultueux près de l’enclos de Chabestan, et quelques individus commencèrent à démolir le mur de clôture » retrace A. Rochas d’après les archives départementales. Malgré la présence des gardes nationaux, la démolition continua pendant la nuit tandis que d’autres allaient « à la porte d’entrée du couvent proférant des menaces et des injures contre les religieuses. Naturellement, celles-ci prirent peur, elle ne se crurent plus en sûreté, et quelques jours après, le 23 juin, elles abandonnèrent définitivement la maison pour se retirer dans leurs familles. Le bâtiment tombé dans le giron des biens nationaux à la faveur d’une vente du directoire départemental deviendra ensuite une caserne de gendarmerie puis une prison en 1808.

Le souterrain des Ursulines

Pour accéder à leur jardin situé en contre-bas du rempart, que les Ursulines avaient transformé en jardin d’agrément, elles demandèrent l’autorisation à la ville de faire pratiquer un passage souterrain pour s’y rendre sans être vues. 

Entrée du souterrain, côté Chabestan, état actuel

Mais pendant la Révolution, ce passage suscita des inquiétudes. Il pouvait apporter une vulnérabilité à la ville en permettant aux « ennemis de la République » et autres « brigands » de rentrer clandestinement dans la cité. On fit donc murer une des portes d’accès à ce souterrain. On peut toujours observer l’autre porte qui donnait accès au clos, sous la route départementale, à côté de l’escalier d’accès au stade.

Une percée dans le rempart

Sous la municipalité de Emile Laurens, la ville décide d’élargir ou d’ouvrir certaines rues. Ainsi entre 1867 et 1869, le rempart est percé en face de la gendarmerie pour créer un nouveau accès pour entrer dans le centre de la cité. Le projet sera long à réaliser et à terminer. Aujourd’hui, il nous parait difficile d’imaginer que cette entrée dans la ville n’a pas toujours existé.

La montée des Prisons, créée entre 1867 et 1869 sous la municipalité Emile Laurens (aujourd’hui rue Félix Germain)

Les traces du passé De l’ancien rempart antique, peu visible dans cette partie de la ville, il reste peut de vestiges, deux tours sont encore visibles. Celle qui fait l’angle avec le Boulevard Adolphe Ferrier et une tour rabotée à l’angle de la rue Anglaise. La tour située devant l’ancienne porte Englène (aujourd’hui rue Jean Jaurès) a disparu. Du siècle passé, on peut aussi contempler les portes de garages qui gardent la trace des anciennes activités artisanales. Du pied du rempart, à la promenade du dix-neuvième siècle, cette artère est devenue, depuis l’avènement de l’automobile, une voie majeure de notre ville.

Le boulevard des Ursulines devant la salle polyvalente au printemps 2020

Un résumé plus complet de l’histoire du couvent des Ursulines de Die paraitra dans le prochain numéro des Chroniques du Diois programmé début juillet 2020