A propos d’un certificat de santé du 18e siècle

par Christian Rey

Alors que l’on commence à envisager un possible déconfinement progressif de la population française à partir du 11 mai, un de nos fidèles lecteurs nous a transmis par courriel l’image ci-après, nous demandant de lui apporter quelques précisions.

On notera tout d’abord que le document est rédigé par le châtelain de la communauté de Saint-Julien-en-Quint. Au 18e siècle en Dauphiné, dans chaque seigneurie officiait un « châtelain ». Les détenteurs de cette fonction étaient souvent des avocats, des procureurs ou autres auxiliaires de justice. Ils obtenaient leur office par lettre de provision du seigneur de la châtellenie qui devait cependant être confirmée par le juge du bailliage. Ces offices étant peu rémunérateurs, il était fréquent que la fonction s’exerce dans plusieurs judicatures.  Représentant du seigneur, le châtelain était chargé d’instruire les affaires criminelles localement puis de transmettre les dossiers aux tribunaux siégeant en ville, il devait également « procéder aux éventuelles prises de corps, percevoir les éventuelles amendes au profit du seigneur et veiller à l’application des jugements rendus (1). Les châtelains détenaient également des pouvoirs en matière d’administration et de police municipales. Les historiens s’accordent aujourd’hui à considérer que les châtelains, dans la province du Dauphiné, ont joué le rôle qui plus tard sera dévolu aux« juges de paix » établis dans chaque canton par la loi du 16 et 24 août 1790. Le certificat de santé qui nous intéresse a été établi au profit du dénommé Anthoine Martin  qui souhaitait se rendre à Die  « « pour vaquer à ses affaires ». Ce document pourrait être comparé à l’actuelle « attestation de déplacement dérogatoire », il devait être présenté par l’intéressé à toute réquisition des autorités…   A cette période, la seule manière d’identifier les gens consistait à en faire une description physique assez sommaire. Ainsi notre voyageur était  « âgé d’environ 30 ans, de taille de quatre pieds au poil châtain ».

Daté de l’année 1712, ce document nous rappelle que la période 1700-1720  a été marquée par plusieurs événements climatiques et crises sanitaires.  Outre la dysenterie de l’automne 1706, le grand hiver 1709 en gelant les semences a provoqué une crise alimentaire à l’origine d’une forte surmortalité, période suivie à partir de 1710 par une épidémie de fièvre typhoïde. Quant à la peste  elle a sévit en Dauphiné jusqu’aux environs de 1722. Seule une consultation des archives départementales (impossible à l’heure actuelle) nous permettrait-peut être de préciser les faits qui ont conduit les autorités à imposer aux voyageurs ces  « certificats de santé ». Le châtelain atteste qu’au jour de la demande l’intéressé est en parfaite santé ; On relèvera qu’il n’a pas quitté sa communauté depuis «quarante jours ». Cette précision nous rappelle que la quarantaine constituait jusqu’à la découverte des  vaccins, la principale mesure susceptible d’empêcher, ou tout au moins de limiter, le développement des épidémies. La mention entre parenthèses   «par la grâce de Dieu » peut aujourd’hui paraître surprenante, mais jusqu’au 18e siècle, les épidémies, tout comme les catastrophes naturelles, étaient considérées comme « une punition divine ». Notons également que  nous sommes alors sous le règne de Louis XIV  qui a révoqué en 1685 l’édit de Nantes. Cette remarque semble donc être directement liée à l’idéal « un roi, une foi, une loi », qu’il n’hésita pas à faire appliquer de façon autoritaire au travers notamment des dragonnades. « … part aujourd’hui en parfaite santé de ce lieu à cheval ; dans lequel (par la grace de Dieu) il n’y a aucun danger de maladie contagieuse ; et qu’il n’a été dans aucun lieu suspect de contagion depuis quarante jours avant le présent. »

Pour  conclure, observons que les armoiries qui figurent en tête du document et qui représentent trois poules, semblent être celles de la famille Morand, un nom connu dans la vallée de Quint.  Un dénommé Jacques Morand est signalé comme avocat au Parlement de Grenoble en 1700. Il ne s’agit là que d’une hypothèse que l’exploitation méthodique des archives anciennes permettra peut-être un jour d’étayer.

1 – Dominique Gonnard, « Les justices seigneuriales sous l’Ancien Régime : l’exemple de la justice de Sassenage », dans Olivier Cogne (dir.), Rendre la justice en Dauphiné de 1453 à 2003, Grenoble, Arch. dép. Isère — PUG, 2003, p. 59-63.