par Sylvaine Laborde-Castex
Aujourd’hui si vous ouvrez un plan de Die, vous ne trouverez plus la rue de la Chèvrerie. Cette rue a changé de nom le 26 mai 1921 sur décision du conseil municipal. Depuis, elle porte le nom de Jean Jaurès, cet homme politique français qui fut assassiné le 31 juillet 1914, à la veille de la Grande Guerre. Pacifiste, le député socialiste (SFIO), fondateur du journal l’Humanité était un fervent pacifiste qui avec l’internationale ouvrière a tenté d’empêcher la guerre. Jean Jaurès (1859-1914) est aussi l’un des rédacteurs de la loi de séparation de l’église et de l’Etat de 1905
La rue est située dans le centre ancien de Die, quartier Saint-Pierre. Elle débouche sur la place A. Ferrier, traverse après avoir rencontrer la rue Terrot, pour ressortir tranquillement sur le boulevard des Ursulines. Dans leur livre « Die au fil des siècles, Charles et Jean Béranger expliquent que « ses habitants qui se sentent mal honorés » demandent au conseil municipal que leur rue change de nom. La décision du conseil municipal mentionne que les habitants de la rue trouvent ce nom »grotesque et démodernisé ». Sous la plume de Jacqueline Saviard, on peut lire dans un article écrit en 1995 dans le quotidien régional, le témoignage de Mme Algoud une habitante de la rue lui a confié qu’en fait la demande émanait plus spécifiquement d’un habitant de la rue Monsieur Boiche. « Il faut savoir que son nom en patois signifie « bouc », ce qui, on peut le supposer donnait lieu à des plaisanterie peu subtiles» explique t-elle. « Monsieur Boiche étant lui même conseiller municipal, il fut facile de demander le changement de nom de sa rue et d’en obtenir satisfaction ». (1) Dans le compte rendu du conseil paru dans le Journal de Die du 28 mai 1921 on apprend que plusieurs noms ont été proposés par les signataires pour renommer la voie et que «le conseil a retenu celui « de Rue Jean-Jaurès.» Dans cette période d’après guerre, le pacifisme et les mouvements pour la paix se développent, on peut donc penser qu’honorer un grand homme comme Jean-Jaurès qui s’était fortement opposé à ceux qui avait pousser la guerre, allait de soi. Rappelons que la ville a perdu plus d’une centaine de poilus et qu’au même moment les conseillers municipaux réfléchissent à l’érection sur une place de Die, d’un monument aux morts (sur lequel sera inscrit 128 noms de soldats de la Grande Guerre).
Rue de la Chèvrerie Quand à son ancienne appellation la rue de la Chèvrerie, tient son nom d’un petit atelier d’abattage pour le petit bétail (le gros bétail étant abattu place du Mazel). Dans son Essai historique sur l’église et la ville de Die, Jules Chevalier évoque les libertés des habitants de Châtillon, Saillans et Die en 1378. « après avoir juré les libertés de Die, Guillaume Chalhol agréa une supplique des Diois, tendant à obtenir l’autorisation d’établir un abattoir spécial où l’on tuerait des chèvres pour la boucherie. Par des lettres du 16 juillet, il permit la vente de cette viande et approuva le choix de l’emplacement de l’abattoir, hors de la ville, du côté de Saint-Pierre. Le 3 novembre suivant, le chapitre donna son assentiment à la nouvelle création. » Selon les archives de Mme de Félines à Die explorées par Chevalier « l’emplacement est ainsi désigné : locum sive plateam ubi erat una grangia sive domus confrarie dol polanor, juxta bedale rivi frigidi » soit « à l’emplacement où était une grange de [la maison de la confrérie de Polanor ?], près d’un caniveau d’eau froide [canal].
Les chanoines autorisent alors la ville a avoir « macellum caparie, bancos, scamna… extra duo portail magna Dyen civitatis, in quitus et uni duntaxat et non alibi exercent macellum caprarie » une boucherie caprine, avec bancs et échelles [il s’agit sans doute de bancs de découpe et d’échelles d’éviscération] « à l’extérieur des portes de la ville, dans le calme et uniquement et sans autre activité que la boucherie caprine ». De cette activité, Die a gardé longtemps le souvenir. Et lorsque vous vous promenez dans la rue, en levant quelque fois le bout de votre nez, vous pouvez apercevoir d’anciennes portes de granges, des poulies qui témoignent que l’activité agricole des habitants persista encore longtemps au sein de la ville de Die.
note 1
Le recensement de la ville de Die en 1921 confirme qu’une Famille Boiche habitait bien la rue de la Chèvrerie. Par contre Louis Boiche a été élu conseiller municipal lors d’une élection de 1923, soit deux ans après cette décision.
Sources
BEAUMIER, BOLLE, DAUMAS, DESAYE, FAVIER, LALLEMENT, LELIEVRE, « Die, Histoire d’une cité ». Ed. Patrimoine de la vallée de la Drôme. 1999 BERANGER, Charles et Jean, « Die au fils des siècles », 1977, Die, Ed. Cayol (p. 307). CHEVALIER, Jules Essai historique de l’église et de la ville de Die. 3 tomes, 1888-1909, Montélimar Valence. Presse locale : Journal de Die du 28 mai 1921 et édition locale du Dauphiné Libéré de 1er septembre 1995.