Le « confinement » du Dauphiné en 1720 face à l’épidémie dite « Peste de Marseille »

par Christian Rey

Nous vous proposons aujourd’hui un rapide survol des mesures prises dans la vallée de la Drôme pour faire face à la progression de l’épidémie de peste dite « de Marseille », entre 1720 et 1723. Il ne s’agit pas d’un inventaire exhaustif mais d’une simple « évocation » réalisée à partir de petites notes prises lors de nos différentes visites aux archives départementales ces dernières années… 

Un rapide rappel des faits

Le 14 mai 1720 le Grand Saint-Antoine, navire de commerce chargé d’étoffes et de balles de coton en provenance d’Asie arrive dans l’archipel du Frioul, à proximité de Marseille. Pendant le voyage il a fait escale dans plusieurs ports ou sévissait une épidémie de peste. La cargaison appartient au capitaine Château ainsi qu’à plusieurs notables dont l’échevin Estelle, les historiens s’accordent aujourd’hui à dire que c’est par appât du gain que le bateau n’a pas été mis en quarantaine comme c’était alors l’usage, et que le chargement a été débarqué au bout de quatre jours seulement pour alimenter au plus vite le marché de Beaucaire. L’équipage restera confiné une vingtaine de jours sur l’ile de Jarre, mais le mal était fait : la peste était dans Marseille ou les morts vont se succéder à partir du 20 juin.  Ce n’est toutefois que le 9 juillet que les médecins suspectant une épidémie de peste, alertent les autorités. Afin de protéger le commerce, la municipalité marseillaise va cacher la gravité des faits. Un médecin nommé Peyronnel prendra l’initiative d’avertir du danger les villes voisines et un véritable cordon sanitaire va s’organiser aux frontières de la Provence. Le 14 septembre le conseil du Roi  décide la mise en quarantaine de la Provence afin  d’éviter la propagation de l’épidémie, ces mesures s’appliquant principalement aux voyageurs et aux marchandises. Rapidement les Etats pontificaux vont protéger le comtat Venaissin en ordonnant la construction d’un mur en pierres sèches de 27 kilomètres, un autre ouvrage sera réalisé en mars 1721 entre la Durance et le Ventoux  afin d’empêcher toute relation entre le Comtat et le Dauphiné encore épargné par la maladie. L’épidémie s’acheva en 1722 après avoir provoqué la mort de près du tiers de la population provençale.

rapport sur l’épidémie de Marseille rédigé en 1720 par le docteur Bertrand.
ramassage des corps dans les rues de Marseille, estampe d’époque

Les mesures prises en Dauphiné

Dès le 8 août 1720 la Cour de Parlement, aydes et finances de Dauphiné prend un arrêt interdisant à tous les habitants de Provence « d’introduire dans la province aucun bestiaux, ni marchandises, ni d’y entrer, à peine de la vie et de confiscation desdites marchandises ». A la suite  est précisée l’interdiction faite aux habitants du Dauphiné de recevoir des voyageurs ou marchandises originaires de Provence sous peine de « punitions corporelles ». L’arrêt ordonnait également que les officiers municipaux des villes, bourgs et villages d’établir et nommer des personnes pour veiller à « la conservation de la santé », lesquels « feront garder les villes, bourgs et communautés…»  Aux maitres des bureaux de postes  fut ordonné de « faire parfumer les paquets et lettres qui viendront de Provence avant de les distribuer aux particuliers à qui elles seront adressées ». Enfin un certificat de santé a été rendu obligatoire pour tous les Dauphinois souhaitant se déplacer « d’un lieu à un autre ».

Première page de l’arrêt du Parlement de Dauphiné pris le 8 août 1720 pour protéger la province de la contamination

L’application de l’arrêt au niveau local

Chaque communauté, quel qu’en soit la taille était tenue d’appliquer sans délai les mesures prescrites par l’arrêt du Parlement. A titre d’exemple –les mesures actuelles de confinement ne nous permettant pas de consulter les archives municipales de Die- voici à partir d’un document numérisé conservé au Musée de Die, les mesures prises le 5 septembre 1720 par la ville de Crest. Tous les habitants furent assujettis à tour de rôle à la garde des portes de la ville, y compris « les ecclésiastiques, nobles et autres qui peuvent être exempts de garde » sous peine de « procès verbal et porté-plainte à Monseigneur le comte de Médavy (1) », alors commandant en chef des provinces de Dauphiné et de Provence. L’article 5 de ce règlement précise que «Sera  l’entrée de ladite ville absolument défendue et empêchée par ceux qui en feront la garde, à tous pauvres mendiants, vagabonds, gens sans aveu, où  d’une figure suspecte, qu’ils ne laisseront pas même approcher… » Ces mesures s’appliquaient également aux « étrangers ou même originaires de ladite ville (Crest) lesquels après s’être absentés ne seront munis de certificats de santé en bonne forme, justifiants des lieux d’où ils viennent et du séjour qu’ils y auront fait, et dument visés dans les autres lieux où ils auront passé. » L’épidémie se répandant depuis la Provence des dispositions particulières furent prises, ainsi les  voyageurs de cette province, même munis d’un certificat de santé, devaient être empêchés d’entrer en ville jusqu’à ce que le conseil de santé ait statué sur leur sort.  Une attention particulière fut portée sur le contrôle des marchandises et les « hardes, nipes, paquets et marchandises » non justifiés par un certificat officiel devaient être saisis  et détruits si le conseil de santé le décidait. Le règlement produit par les membres du conseil de santé de Crest prévoyait également des mesures administratives. Ainsi étaient précisées les modalités de délivrance des certificats de santé au profit des Crestois  qui souhaitaient se déplacer, ou encore l’interdiction faites a tous les « hôtes, aubergistes et cabaretiers, de recevoir et loger chez eux  aucuns étrangers connus ou inconnus, qui n’auront pas de certificat en la forme définie, sous peine de 50 libres d’amende et d’être mis en quarantaine, eux et leurs familles, dans les lieux qui seront désignés… »

Entête du règlement du conseil de santé de Crest publié le 5 septembre 1720

L’article 12 constituait un appel à la délation « Il est très expressément ordonné à tous les habitants qui pourraient en avoir connaissance, et nommément aux voisins des maisons et lieux, ou telles personnes et effets seraient recelés, d’en avertir incessamment le conseil de santé, à peine de répondre en leur propre de la contravention et des événements, … ». Concernant le courrier et les colis transmis par le service postal de l’époque, le L’hygiène des rues fut renforcée pendant cette période. Les habitants furent contraints « de tenir nettes leurs rues, ruelles et culs de sacs,  d’en enlever les fumiers et de les transporter hors de la ville dans les trois  jours suivant la publication du règlement… »  Fut également défendu de « jeter et souffrir qu’il soit jeté par les fenêtres et portes, aucunes ordures, ni saletés, dans les rues, ni de  laver  aucunes choses dans les fontaines publiques… » Le commerce des animaux de boucherie fut soumis à une surveillance renforcée. Il fut interdit aux particuliers de faire entrer des bestiaux en ville, sauf pour les bouchers, sous réserve que les animaux aient été auparavant visités par le conseil de santé. Quant aux Crestois qui élevaient des cochons à leur domicile, ils furent tenus d’empêcher qu’ils sortent des habitions pour parcourir les rues de la ville « depuis les sept heures du matin jusqu’à sept heures du soir, à peine de confiscation desdits cochons au profit dudit hôpital ». La distribution du courrier, lettes et colis, pouvait présenter un risque aussi le sieur Chambert, maître apothicaire, et le sieur Bayot, procureur et conseiller du conseil de santé furent chargés de  les « parfumer »  avant d’en autoriser la distribution, on pensait ainsi éviter la transmission de la maladie. Pour suivre régulièrement l’application de ces différentes  mesures le Conseil de Santé se réunissait tous les lundis et tous les jeudis en l’hôtel de ville à huit heures du matin « et plus souvent s’il est besoin ». Les huissiers, sergents, équivalent de notre police municipale actuelle,  ainsi que les personnes affectées à la garde des portes de la ville étaient tenus « d’obéir et de prêter main forte au conseil de santé et à ses conseillers » à la moindre réquisition sous peine de cent livres d’amende et d’un emprisonnement immédiat en cas de refus. Le règlement fut approuvé par le Comte de Medavy, commandant militaire du Dauphiné et de la Provence.

Autres traces dans les Archives

La peste de Marseille a laissé de nombreuses traces dans les archives, ainsi  le règlement de la vente, du tirage, de la fabrique et du commerce des soies (1721-1722) (Add C 9) ou encore l’ordonnance du juge mage de Valence pour prévenir la peste et qui prévoit notamment que « les curés et autres prêtres et religieux, médecins, apothicaires et chirurgiens de Valence ne pourront aller visiter ni assister aucuns malades qu’au préalable qu’ils aient été vus et visités par Gaspard Durand et Esprit Boitel, maitres chirurgiens commis au fait de la santé. » (Add B 13) D’autres documents attestent que de nombreux drômois furent réquisitionnés pour assurer la garde  non seulement des villages mais également des points de contrôles établis sur plusieurs grandes routes, ainsi la commune d’Eurre qui envoya 28 hommes pour « garder les nouveaux postes établis le long du Rhône, entre l’Isère et la Drôme en 1721 » (Add E 13772). A Piégros-Laclastre on désigna deux hommes pour garder le village et on en envoya un sur la ligne de santé de Mirabel aux Baronnies le 23 mars 1721 (Add E 14095). Le village de Barsac créa son propre conseil de santé le 16 octobre 1720 « à cause des bruit de peste » (Add E 14222) .A Valdrôme on décida le 1er novembre 1720 d’établir des barrières autour du village (Add E 14592) puis en 1722 on envoya des hommes garder la ligne de santé de Mérindol (Add E 14617). Vercheny décida le 9 août 1720 de « défendre à toute personne, et surtout à Isaac Taillotte, fermier de la Bégude du Gap, de recevoir qui que ce soit sans billet de santé, à cause de la peste de Marseille » (Add E 14945). La garde de santé de la Motte Chalancon comprenait 12 personnes en 1720 (Add E 14569). Bourdeaux fut sollicité pour fournir des hommes à la ligne de santé établie à Suze-la-Rousse en 1720 puis à Mirabel-aux-Baronnies l’année suivante (Add E 12691). A Châtillon, un conseil de santé fut établi le 6 octobre 1720 « à cause de la peste de Marseille » (Add E 12799) Beaufort-sur-Gervanne envoya en 1720 un homme garder la ligne de santé de Mirabel et fit garder le village par quatre habitants, l’année suivante 2 hommes partirent pur Saint-Maurice-sur-Eygues le 19 septembre (Add E 13553 et 13554). En 1722 c’est la Bâtie-des-Fonts qui envoya un homme dans les Baronnies (Add  E 14457).

tracé du « Mur de l peste » édifié entre 1720 et 1722 pour limiter la propagation de l’épidémie dans le nord de la Provence et vers le Dauphiné. De nombreux drômois se relayèrent pour en assurer la surveillance

note

(1) Jacques Eléonor Rouxel, comte de Grancey et baron de Médavy, né le 31 mai 1655, décédé le 6 novembre 1725, élevé à la dignité de Maréchal de France en 1724 fut pourvu au commandement en chef des provinces de Dauphiné et de Provence en 1714. En 1720 il fut chargé  avec succès de la lutte contre la Peste dite de Marseille.

A propos d’un certificat de santé du 18e siècle

par Christian Rey

Alors que l’on commence à envisager un possible déconfinement progressif de la population française à partir du 11 mai, un de nos fidèles lecteurs nous a transmis par courriel l’image ci-après, nous demandant de lui apporter quelques précisions.

On notera tout d’abord que le document est rédigé par le châtelain de la communauté de Saint-Julien-en-Quint. Au 18e siècle en Dauphiné, dans chaque seigneurie officiait un « châtelain ». Les détenteurs de cette fonction étaient souvent des avocats, des procureurs ou autres auxiliaires de justice. Ils obtenaient leur office par lettre de provision du seigneur de la châtellenie qui devait cependant être confirmée par le juge du bailliage. Ces offices étant peu rémunérateurs, il était fréquent que la fonction s’exerce dans plusieurs judicatures.  Représentant du seigneur, le châtelain était chargé d’instruire les affaires criminelles localement puis de transmettre les dossiers aux tribunaux siégeant en ville, il devait également « procéder aux éventuelles prises de corps, percevoir les éventuelles amendes au profit du seigneur et veiller à l’application des jugements rendus (1). Les châtelains détenaient également des pouvoirs en matière d’administration et de police municipales. Les historiens s’accordent aujourd’hui à considérer que les châtelains, dans la province du Dauphiné, ont joué le rôle qui plus tard sera dévolu aux« juges de paix » établis dans chaque canton par la loi du 16 et 24 août 1790. Le certificat de santé qui nous intéresse a été établi au profit du dénommé Anthoine Martin  qui souhaitait se rendre à Die  « « pour vaquer à ses affaires ». Ce document pourrait être comparé à l’actuelle « attestation de déplacement dérogatoire », il devait être présenté par l’intéressé à toute réquisition des autorités…   A cette période, la seule manière d’identifier les gens consistait à en faire une description physique assez sommaire. Ainsi notre voyageur était  « âgé d’environ 30 ans, de taille de quatre pieds au poil châtain ».

Daté de l’année 1712, ce document nous rappelle que la période 1700-1720  a été marquée par plusieurs événements climatiques et crises sanitaires.  Outre la dysenterie de l’automne 1706, le grand hiver 1709 en gelant les semences a provoqué une crise alimentaire à l’origine d’une forte surmortalité, période suivie à partir de 1710 par une épidémie de fièvre typhoïde. Quant à la peste  elle a sévit en Dauphiné jusqu’aux environs de 1722. Seule une consultation des archives départementales (impossible à l’heure actuelle) nous permettrait-peut être de préciser les faits qui ont conduit les autorités à imposer aux voyageurs ces  « certificats de santé ». Le châtelain atteste qu’au jour de la demande l’intéressé est en parfaite santé ; On relèvera qu’il n’a pas quitté sa communauté depuis «quarante jours ». Cette précision nous rappelle que la quarantaine constituait jusqu’à la découverte des  vaccins, la principale mesure susceptible d’empêcher, ou tout au moins de limiter, le développement des épidémies. La mention entre parenthèses   «par la grâce de Dieu » peut aujourd’hui paraître surprenante, mais jusqu’au 18e siècle, les épidémies, tout comme les catastrophes naturelles, étaient considérées comme « une punition divine ». Notons également que  nous sommes alors sous le règne de Louis XIV  qui a révoqué en 1685 l’édit de Nantes. Cette remarque semble donc être directement liée à l’idéal « un roi, une foi, une loi », qu’il n’hésita pas à faire appliquer de façon autoritaire au travers notamment des dragonnades. « … part aujourd’hui en parfaite santé de ce lieu à cheval ; dans lequel (par la grace de Dieu) il n’y a aucun danger de maladie contagieuse ; et qu’il n’a été dans aucun lieu suspect de contagion depuis quarante jours avant le présent. »

Pour  conclure, observons que les armoiries qui figurent en tête du document et qui représentent trois poules, semblent être celles de la famille Morand, un nom connu dans la vallée de Quint.  Un dénommé Jacques Morand est signalé comme avocat au Parlement de Grenoble en 1700. Il ne s’agit là que d’une hypothèse que l’exploitation méthodique des archives anciennes permettra peut-être un jour d’étayer.

1 – Dominique Gonnard, « Les justices seigneuriales sous l’Ancien Régime : l’exemple de la justice de Sassenage », dans Olivier Cogne (dir.), Rendre la justice en Dauphiné de 1453 à 2003, Grenoble, Arch. dép. Isère — PUG, 2003, p. 59-63.

Le Boulevard des Ursulines à Die

par Sylvaine Laborde-Castex

Ce boulevard de Die situé entre les boulevards du Ballon et Adolphe Ferrier, suit en partie le pied du rempart Ouest de la ville. En 1863, la ville a cédé comme de nombreuses bourgades françaises à ce vent de modernité qui consiste à poser des plaques indicatrices dans les rues, places ou impasses. Parmi les 158 plaques dioises fixées, une artère nouvelle située entre la porte Saint-Vincent et la tour Drojat prend le nom de boulevard des Ursulines. La ville de Die nomme cette voie en souvenir des Ursulines, des religieuses moniales dont le couvent était situé dans ce quartier jusqu’à la Révolution (1). 

Le domaine des Ursulines , la montée des Prisons n’est pas encore crée,  les plantations de platanes et marronniers sont figurées sur le plan cadastral de Die d’août 1823 (Archives départementales de la Drôme)

Les Ursulines

Vouées à des oeuvres charitables, à l’éducation et l’enseignement, les ursulines reconnaissaient comme inspiratrice Sainte-Angèle de Merici qui fonda en Italie du Nord une compagnie de religieuses sous le patronage de Sainte-Ursule (2). Selon ses biographes, Angèle Merici (1474-1540) reçut la révélation de sa mission dans un champs : « fonder une compagnie de vierges appelée à se développer largement dans l’avenir. » « En 1516, elle s’établit à Brescia, une ville dévastée par les armées françaises durant les quatre années précédentes et qui deviendra un peu plus tard la plus luthérienne des villes d’Italie selon les dires du pape Clément VII. « Angèle Merici est une de ces auxiliaires œuvrant pour le rétablissement de la foi [catholique]» nous apprend Ginette Guillorit dans son livre consacré aux Ursulines de Crest. Elle poursuit « A l’époque de la création de la Compagnie d’Angèle, l’église ravagée par la Réforme, cherche à se reconstruire. Saine-Ursule est regardée par les jeunes filles restées dans les rouages de la religion catholique, peut-être même par celles qui cherchent leur voie, comme un phare spirituel. La compagnie de Sainte-Ursule se répand en Italie dès la fin du XVIe siècle, mais aussi dans des territoires qui sont aujourd’hui ceux de France, Belgique et en Europe Centrale.»

Le Boulevard des Ursulines aux environs de 1900

On peut alors aisément comprendre pourquoi en mai 1638, l’évêque de Valence et de Die, Charles-Jacques de Gélas de Léberon donnent des lettres d’obédience aux sœurs ursulines France de Villeneuve, Marthe Jobert, Paule de Cellarier, Marguerite Rambaud, Marie Angel, Marguerite de Chabrilan et Isabeau Pissis, « a effet de se rendre à Die pour y fonder un monastère ». Ces Ursulines venues de Montélimar étaient donc toutes trouvées pour rétablir la « bonne parole » dans une ville majoritairement protestantes.   La mère Isabeau Pissis dirigea pendant trois ans le monastère de Die avant de repartir pour Montélimar. Le chanoine Jules Chevalier rapporte que « l’arrivée des sœurs avait été à Die un événement, et les dames de la ville catholiques et protestantes, leur rendaient de fréquentes visites, si bien que le consistoire en fut scandalisé et par délibération interdit aux protestants « d’aller visiter les nonnains de nouveau establies. » Les Ursulines ouvrirent une école à l’hôpital puis une autre dans leur couvent en 1739, pour les filles protestantes arrachées à leurs familles. Après avoir occupé différents immeubles une maison appartenant à Catherine Reynier, puis deux autres maisons propriétés de la famille Delamorte, et au chanoine Gabriel Vigue située au Marché, en 1647, la communauté, placée sous la responsabilité de Paule Cellarier, achète à Jean Giraud, pasteur à Beaurières la maison de Chabestan (3) et le « clos d’Aix.  Ce clos est un jardin situé tout près, mais hors des remparts (aujourd’hui il s’agit des parcelles où sont installés les écoles publiques, l’ancien stade de Chabestan et la salle polyvalente). Elles achetèrent en 1648 trois autres maisons voisines, et en 1658 un jardin (aujourd’hui la placette) appartenant à David Roman, avocat pour agrandir leur couvent. Elles s’appuient alors sur le rempart et obtiennent du duc de Lesdiguières (gouverneur du Dauphiné), « l’autorisation d’usurper le chemin de ronde ». (4) Ad. Rochas qui a consacré un petit fascicule à l’histoire des Ursulines de Die rapporte que les « bâtiments étaient divisés en deux parties bien distinctes, ayant chacune leur affectation spéciale. La première, formée par la maison de Chabestan, était le couvent proprement dit. Elle contenait trois dortoirs subdivisés en vingt-cinq cellules. [Celles-ci] contenaient un lit, un prie-Dieu, une table, deux chaises, une armoire et quelquefois un tableau de dévotion. L’autre partie des bâtiments avait été disposée pour un pensionnat. Elle était séparée du couvent par un petit jardin ». Le Couvent possédait également une chapelle richement décorée (5). Jules Chevalier dans son Essai historique de l’église et la ville de Die précise que « chaque religieuse devait en entrant apporter une dot d’au moins 1800 livres et 200 livres pour l’ameublement de sa cellule. Ces différentes ressources firent du couvent de Die, un dès plus riches de la province » poursuit Chevalier. 

Etat actuel du couvent des Ursulines, le bâtiment proche de la route a été totalement reconstruit au 19e siècle

Les Ursulines accueillaient également des pensionnaires et des demi-pensionnaires (en 1680, le prix de la pension était de 100 livres). Le couvent des Ursulines de Die fut pendant plusieurs décennies le seul établissement spécialisé dans l’instruction des jeunes filles de la bourgeoisie.  Les Ursulines avaient également d’autres domaines agricoles à Aurel et à Menglon (domaine de Blanchon). Le couvent était administré par trois dignitaires explique A. Rochas : la supérieure (chargée de la direction spirituelle, élue tous les trois ans au scrutin secret et à la pluralité des voix), l’assistante ou sœur « écoute » et la zélatrice. L’assistante suppléait la supérieur tandis que la zélatrice avait pour principale mission de rappeler en permanence aux sœurs la règle de Saint-Augustin à laquelle étaient assujetties les Ursulines depuis 1542.(6) Parmi les supérieures du Couvent on peut citer les sœurs : Isabelle de Plissis, Paule Cellarier, Suzanne de Saint-Benoit Morel, Florence de Sainte-Thérèse Peyrol, Madeleine de Saint-André Giraud, Geneviève de Saint-Jean de Beaumont. Le couvent des Ursulines semble avoir subsisté à Die, plus longtemps que les autres congrégations religieuses de Die comme les Cordeliers ou les Dominicains. Les soeurs ont même prêté de l’argent à la communauté au début de la Révolution. En avril 1792, alors que l’assemblée nationale abolit toutes les confréries religieuses et ordres religieux (7), il faudra atteindre le mois de juin pour voir des révolutionnaires diois s’attaquer au couvent des Ursulines. « Le 17 juin, vers 6h du soir, il se forma un rassemblement tumultueux près de l’enclos de Chabestan, et quelques individus commencèrent à démolir le mur de clôture » retrace A. Rochas d’après les archives départementales. Malgré la présence des gardes nationaux, la démolition continua pendant la nuit tandis que d’autres allaient « à la porte d’entrée du couvent proférant des menaces et des injures contre les religieuses. Naturellement, celles-ci prirent peur, elle ne se crurent plus en sûreté, et quelques jours après, le 23 juin, elles abandonnèrent définitivement la maison pour se retirer dans leurs familles. Le bâtiment tombé dans le giron des biens nationaux à la faveur d’une vente du directoire départemental deviendra ensuite une caserne de gendarmerie puis une prison en 1808.

Le souterrain des Ursulines

Pour accéder à leur jardin situé en contre-bas du rempart, que les Ursulines avaient transformé en jardin d’agrément, elles demandèrent l’autorisation à la ville de faire pratiquer un passage souterrain pour s’y rendre sans être vues. 

Entrée du souterrain, côté Chabestan, état actuel

Mais pendant la Révolution, ce passage suscita des inquiétudes. Il pouvait apporter une vulnérabilité à la ville en permettant aux « ennemis de la République » et autres « brigands » de rentrer clandestinement dans la cité. On fit donc murer une des portes d’accès à ce souterrain. On peut toujours observer l’autre porte qui donnait accès au clos, sous la route départementale, à côté de l’escalier d’accès au stade.

Une percée dans le rempart

Sous la municipalité de Emile Laurens, la ville décide d’élargir ou d’ouvrir certaines rues. Ainsi entre 1867 et 1869, le rempart est percé en face de la gendarmerie pour créer un nouveau accès pour entrer dans le centre de la cité. Le projet sera long à réaliser et à terminer. Aujourd’hui, il nous parait difficile d’imaginer que cette entrée dans la ville n’a pas toujours existé.

La montée des Prisons, créée entre 1867 et 1869 sous la municipalité Emile Laurens (aujourd’hui rue Félix Germain)

Les traces du passé De l’ancien rempart antique, peu visible dans cette partie de la ville, il reste peut de vestiges, deux tours sont encore visibles. Celle qui fait l’angle avec le Boulevard Adolphe Ferrier et une tour rabotée à l’angle de la rue Anglaise. La tour située devant l’ancienne porte Englène (aujourd’hui rue Jean Jaurès) a disparu. Du siècle passé, on peut aussi contempler les portes de garages qui gardent la trace des anciennes activités artisanales. Du pied du rempart, à la promenade du dix-neuvième siècle, cette artère est devenue, depuis l’avènement de l’automobile, une voie majeure de notre ville.

Le boulevard des Ursulines devant la salle polyvalente au printemps 2020

Un résumé plus complet de l’histoire du couvent des Ursulines de Die paraitra dans le prochain numéro des Chroniques du Diois programmé début juillet 2020

En parcourant le censier d’Amédée de Genève

par Jean Daspres

En parcourant le Censier[1] de l’Evèque de Die Amédée de Genève[2]  (document du XIIIe  siècle écrit en langue vulgaire et annoté par J. BRUN-DURAND[3])  parlant des paroisses de  Die, Montmaur  et Aurel ,on retrouve  assez souvent,avec des graphies  plus ou moins différentes des vieux noms de lieux , rues et familles dioises. Voici quelques exemples : +La Gueira :Laguire (canton cadastral) +Mauri :Maurin ;Morin (nom de famille) +Chamargal :Chamarges (canton cadastral) +Saint Vincentz : Saint Vincent (quartier de Die) +Granoval : Grenoble +Maladeira : Maladrerie (quartier de Die) +Tardius : Tardif (nom de famille) +Saint Peire : Saint Pierre (quartier de Die) +Cocosa :Cocause (idem) +Rollant : Rolland (nom de famille) +Poiols :Poyols +Belregard : Beauregard (canton cadastral) +Chasteillon :Chatillon +Saint Saornin : Saint Sornin (quartier de Die) +Symont : Simon (nom de famille) +Drogo : Drogue (idem) +Garainnoz : Garagnon (idem) +Puei Urgnon :Purgnon (quartier de Die) +Ainartz :Eynard (nom de famille) +Lolmet :Lhomet (quartier de Die) +La Chabreria : La Chèvrerie (ancienne dénomination d’une rue de Die) +Aucelo :Aucelon +Romier : Romeyer +Lombart : Lombard (nom de famille) +d’Aspres : Daspres (idem) +Vallée de Tuès : nom ancien de la vallée de Quint +Lautier : Liotier (nom de famille) +Ruina , Roesnel : Ruinel (quartier de Die) +Aiglueun :Egluy +Mailletz : Maillet (nom de famille) +Richauva :Richaud (idem) +Gressa :Gresse (nom de famille et de commune) +Rainautz : Reynaud (nom de famille) +Pontais : Pontaix + Chapaiz : Chapays (nom de famille) +Davi : David (idem) +Disders : Didier (idem) +Acharda :Achard (idem) +Archimbautz : Archimbaud (idem) +Conchas : Conches (quartier de Die) +Galantz : Galand (nom de famille) +Lambertz : Lambert (idem) +Justi : Justin (canton cadastral et montagne) +Blacha : Blache (nom de famille) +Rambautz :Rambaud (idem) +Faviers : Favier (idem) +Chapiac : Chapiat (quartier de Die) +Ameilz : Miellons (idem) +Bo vesin :Beauvoisin (idem) +Audo :Oddon (nom de famille) +Ais : Aix +Bovet : Bouvet (nom de famille) +Bel Fayn : Beaufayn,Beaufays  (canton cadastral) +Armantz : Armand (nom de famille) +Bernatz : Bernard (idem) +Chabertus :Chabert (idem) +Paians : Payan (idem) +Forniers : Fournier (idem) +Finas : Fine (idem) +Truchafauz : Truchefaud (idem) +Comba Grimaud : Combe Grimaud (canton cadastral) +Ranceuz : Ranceaux (idem) +Borreu : Borel (nom de famille) +Florenz : Floreaux (canton cadastral) +Seyeleyras : Salières (idem)   Il en est de même pour Montmaur (anciennement Montmaior) Ainsi par exemple Chauvi est Chauvin (nom de famille), Bal sont les Baux (canton  cadastral et falaises) ,Auseleoira est Solaure (canton  cadastral et montagne),Peira Grallieta est Pierre Graillette (canton cadastral),Boillana  est Boillanne (nom de famille) , Reis est  Rey (nom de famille),Esconaveta :Esconavete (ruisseau de Montmaur) et  pour Aurel (Aureuz) par exemple Berchauz :Berchaud (nom de famille),Enpaita :Empeyta (idem),Marcels :Marcel (idem),Colomba : Colombe (ruisseau d’Aurel),Bauti :Bautin (nom de famille) etc… Ceci n’est qu’un aperçu car on trouve encore beaucoup d’autres noms en feuilletant les 71 pages du censier.


[1] Registre sur lequel sont portées les contributions du cens, le cens étant une redevance fixe que le possesseur d’une terre payait au seigneur féodal.

[2] Cousin du Dauphin de Viennois Guigues VII  et évèque de Die de 1245 à 1276

[3] Historien crestois (1836-1910), auteur de nombreuses recherches sur le Dauphiné.

LA PESTE A DIE en 1507

Par le Chanoine Ulysse Chevalier

Nous vous proposons aujourd’hui  la transcription  intégrale d’un texte du chanoine Chevallier relatif à l’épidémie de peste qui se manifesta à Die en 1507. Ce texte est extrait du tome II de son Essai historique sur l’église et la ville de Die

« L’année 1507 laissa de tristes souvenirs. Le 3 février furent créés syndics Antoine Bolard, bachelier en l’un et l’autre droit, et Etienne Masseron, marchand. Dès leur entrée en charge, ils durent se préoccuper des mesures  à prendre pour préserver la ville de l’invasion de la peste, qui sévissait à Romans, à Montélimar, à Valence, et qui venait de faire son apparition à Saillans. On réclama au doyen Jacques Roy les clés de la porte Bornenche ; on ferma la porte de Romeyer et les brèches des remparts. On renouvela les conventions avec le médecin Jacques Cabrières. Le 19 mars, un certain Barthélémy Bonnet, qui était allé à Montélimar, dut à son retour commencer une quarantaine, avant de pouvoir entrer dans la ville. Il fut tout d’abord décidé qu’il n’y aurait pas cette année de prédications pendant le carême, afin d’éviter les nombreuses réunions réputées dangereuses en temps d’épidémie ; mais on changea d’avis ; on eut un prédicateur, à qui le conseil vota le 12 avril une somme de 10 florins. Le 15, le conseil s’émut des nouvelles alarmantes qu’on recevait, et décida que la garde des portes serait faite avec plus de vigilance, à tour de rôle, par les chefs de maisons, Malheureusement, toutes les précautions furent vaines. Le terrible mal pénétra dans la cité. Ce fut le 2 juin qu’eut lieu le premier décès. Antoine Eyrole, de Saillans, mourut chez son parent Jean Eyroles. On l’ensevelit à Saint-Magne, dans une fosse très profonde. Toute la famille Eyrole et toutes les personnes qui dans ces derniers jours étaient venues visiter le malade furent expulsées de la ville et reléguées à Saint-Cors, où on leur faisait porter des vivres. Les syndics eurent tout pouvoir pour expulser les suspects. Le 16 juin, nouveau décès dans la maison de Gabriel Ismidon. Cette famille fut aussi envoyée à Saint-Cors, où l’on fit construire une baraque en planches pour la recevoir. Le fléau ne tarda pas à se développer, et il fallut prendre un homme pour ensevelir les morts, un carabin, comme on disait en ce temps-là ; on lui promit pour ses gages, durant six semaines, 6 florins, 1 sétier de blé et un baral de vin. Le conseil loua un autre homme pour porter à domicile des secours aux malades.

Les décès de multiplièrent et causèrent une sorte de panique ; aussi, dès le commencement de juillet, toutes les familles qui en eurent les moyens quittèrent la ville et allèrent se fixer à la campagne. Cédant également à la peur, les deux syndics Jacques Agrivol, notaire, qui le 2 juin avait remplacé Antoine Bolard démissionnaire, et Etienne Masseron, annoncèrent au conseil réuni le 6 juillet, qu’ils n’entendaient pas servir la ville pendant la peste et qu’il se retiraient à la campagne avec les leurs. Deux zélés citoyens, Jean Clot, notaire, et Jacques de Fays, consentirent à les remplacer. Le conseil les investit d’un pouvoir absolu, tout le temps que durerait l’épidémie, et laissa à leur disposition une somme de 100 florins pour aviser aux mesures nécessaires. Ils s’adjoignirent Jean Cloteyraud, Perceval David, Jean Bonnet et Mathieu Artaud, leur donnant à chacun 5 florins par mois, et expulsèrent impitoyablement de la ville tous les  infects. Nous ne sommes pas renseigné sur le nombre des victimes de cette terrible épidémie, nous savons seulement que le 1er septembre tout danger avait disparu. Jean Cloche et Jacques de Fays  s’étaient acquis les droits à la reconnaissance publique. Le conseil les maintint dans la charge qu’ils avaient si courageusement acceptée. Le 18 novembre, le conseil décida que tous les linges des maisons contaminées seraient portés par des carabins dans les eaux de la Drôme et y demeureraient deux jours entiers ; que toutes les pailles des lits seraient brûlées.»